Comment régulariser la rémunération d’un agent contractuel non conforme à la grille indiciaire ?
Depuis son embauche en 2012, la rémunération d’un agent contractuel en qualité d’ingénieur principal territorial n’a jamais fait l’objet d’une réévaluation et à ce jour celle-ci n’est pas conforme à la grille indiciaire en vigueur du grade d’ingénieur principal territorial. La collectivité souhaiterait régulariser la situation en faisant un avenant au contrat au 1er janvier 2023 et en effectuant un versement rétroactif de la rémunération due depuis le 1er janvier 2019.
Cette régularisation est-elle de droit ? L’avenant doit-il comporter la mention de rétroactivité du versement de la rémunération due ou est-il nécessaire de produire un autre acte administratif (délibération ou arrêté) ?
À la différence des fonctionnaires, la rémunération des agents contractuels est fixée librement par l’autorité territoriale, et doit tenir compte notamment des fonctions, de la qualification et de l’expérience de l’agent.
Rien ne fait obstacle à ce que la rémunération soit fixée par référence à un indice (mais pas nécessairement et être fixée de manière globale et forfaitaire ) ou que les contractuels bénéficient du même régime indemnitaire que les titulaires. En tout état de cause, la rémunération doit être fixée par le contrat, qui est la « loi des parties » (CE Avis, 28 juil. 1995, no 168605, Préfet du Val d’Oise, Rec.).
Cependant, les textes en vigueur imposent que la rémunération des agents contractuels soit réévaluée tous les trois ans.
1. Un manquement à l’obligation de réévaluation
En effet, l’article 1-2 du décret no 88-145 du 15 févier 1988 modifié indique que « (…) La rémunération des agents employés à durée indéterminée fait l'objet d'une réévaluation au moins tous les trois ans, notamment au vu des résultats des entretiens professionnels prévus à l'article 1-3 ou de l'évolution des fonctions.
La rémunération des agents employés à durée déterminée auprès du même employeur en application de l'article L. 332-8 du Code général de la fonction publique fait l'objet d'une réévaluation, notamment au vu des résultats des entretiens professionnels prévus à l'article 1-3 ou de l'évolution des fonctions, au moins tous les trois ans, sous réserve que celles-ci aient été accomplies de manière continue (...) ».
En conséquence, la réévaluation de la rémunération de l’agent concerné aurait dû avoir eu lieu, a minima, à la suite du décret no 2016-1123 du 11 août 2016 qui impose la réévaluation au bout de 3 ans.
En revanche, la réévaluation de la rémunération d’un agent contractuel n’implique pas nécessairement une augmentation de la rémunération.
La réévaluation périodique de la rémunération des agents contractuels, désormais étendue aux titulaires de contrats à durée déterminée, doit nécessairement avoir une contrepartie, telle que par exemple l’amélioration du travail effectué ou l’évolution des tâches effectuées. Elle ne doit, en revanche, pas se traduire par un déroulement de carrière automatique sous peine de méconnaître la jurisprudence du Conseil d’État (CE, 30 juin 1993, no 120658, Préfet de la région Martinique).
En conséquence, la régularisation envisagée afin de mettre en cohérence la rémunération de l’agent contractuel avec les grilles des titulaires n’est pas de droit dans la mesure où l’agent contractuel n’a pas le droit à un déroulement de carrière et que la rémunération, fixée par l’autorité territoriale, n’augmente pas de manière automatique tous les trois ans. « La notion de réévaluation n’implique aucun automatisme, l’administration ne pouvant s’abstenir de procéder à un examen au cas par cas de la situation de chaque agent contractuel », estime le Conseil d’État (CE avis, 30 sept. 2014, projet de décret modifiant le décret no 86-83 relatif aux agents contractuels de l’État).
En revanche, en ne réévaluant pas la rémunération de l’agent concerné tous les 3 ans depuis le décret de 2016 précité, la collectivité a méconnu les dispositions 1-2 du décret no 88-145 modifié.
2. Un contentieux possible
À ce titre, l’agent concerné est susceptible de faire un contentieux (à la suite d’un recours gracieux en demandant à la collectivité de réévaluer sa rémunération, dans l’hypothèse où la collectivité refuserait cette réévaluation).
Il lui appartiendra de prouver et d’établir qu'il avait une chance sérieuse de voir sa rémunération augmenter, notamment à l’issue des évaluations annuelles et justifier d'un préjudice au titre de la réévaluation prévue par l'article 1-2 du décret du 15 février 1988 (CAA Versailles, 5e chambre, 10 mai 2021, consid. 11).
Le juge administratif exerce un contrôle restreint sur le montant de la rémunération des agents contractuels, tout en précisant que l’administration devait tenir compte, notamment, « des fonctions confiées à l’agent et de la qualification requise pour les exercer » (CE, 30 déc. 2013, no 348057, Mme B.A., T.).
Dans une situation ressemblante le juge administratif a déjà jugé annulé en 2013 une décision de l’autorité territoriale refusant la régularisation, et a notamment précisé « compte-tenu notamment de la circonstance née de l'embauche de M. A. en décembre 2008, il appartenait à la commune de Marseille de réexaminer de façon sérieuse le niveau de la rémunération de M. D. » (CAA Marseille, 8e chambre, 9 avril 2013, no 11MA00840). La commune de Marseille avait commis une erreur manifeste d'appréciation de l'adéquation entre le niveau de rémunération de l'intéressé et le niveau des fonctions réellement effectuées par ce dernier.
En l’espèce, il n’est pas envisageable de se prononcer sur l’analyse que pourrait rendre le juge administratif dès lors qu’aucun détail n’est précisé sur cet agent, ses missions, sa valeur professionnelle, si sa rémunération est fonction d’un indice applicable aux titulaires d’un même cadre d’emploi à fonctions équivalentes ou non etc.
En tout état de cause, si la régularisation n’est pas de droit, l’absence de réévaluation est susceptible de susciter un recours contentieux par l’intéressé. Le juge exercera un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation. En d’autres termes, la rémunération ne doit être ni manifestement inférieure ni manifestement supérieure à la rémunération versée aux agents titulaires.
3. La collectivité peut régulariser la rémunération par un avenant avec effet rétroactif
La collectivité peut décider, d’un commun accord avec l’intéressé, de réévaluer sa rémunération. Pour ce faire, il est nécessaire de signer à un avenant à son CDI en modifiant les dispositions relatives à la rémunération.
Aucune délibération ni arrêté ne doit être pris en ce sens, dès lors que les crédits pour attribuer cette rémunération sont suffisants.
En principe, le contrat n’a pas d’effet rétroactif.
Toutefois, il a déjà été jugé que des avenants à un contrat de recrutement d'un agent public territorial peuvent modifier rétroactivement le niveau de la rémunération convenue entre l'agent et la collectivité qui l'emploie, à la double condition que (CAA Douai, 3e chambre, 20 oct. 2011, no 10DA00144) :
- les effets de ces avenants ne s'étendent pas à des personnes qui ne seraient pas parties au contrat de recrutement ;
- pendant les périodes au titre desquelles de tels avenants sont rétroactifs, que les niveaux de rémunération en résultant ne dépasse pas ceux des agents de l'État occupant des fonctions similaires et ayant des qualifications équivalentes ou en cas d'absence de correspondance étroite avec la fonction publique de l'État, qu'ils prennent en compte les fonctions occupées et la qualification de l'agent.